mardi 23 janvier 2007

Le président allemand force le dialogue avec les jeunes africains

Discours de M. Horst Köhler,
Président de la République fédérale d'Allemagne,
à l'occasion de l'ouverture des débats du Forum pour l'Afrique
le samedi 13 janvier 2007


Madame la Présidente,
Messieurs les Présidents,
Madame la Ministre fédérale,
Mesdames et Messieurs,

L'Afrique est le berceau de l'humanité. Mais l'Afrique est aussi un jeune continent. Les jeunes âgés de 12 à 14 ans y représentent un tiers de la population, ce qui contraste franchement avec la population de l'Europe. D'un côté, la jeunesse africaine se caractérise par son dynamisme, sa créativité et son potentiel. De l'autre, c'est elle qui est surtout menacée par les conflits armés, le chômage, les maladies, la pauvreté et la faim. La jeunesse africaine mérite un meilleur avenir. C'est pourquoi nous avons décidé de nous focaliser sur le dialogue avec les jeunes lors du forum de cette année. Pourquoi avoir encore choisi le thème de la jeunesse? Pourquoi une fois de plus le thème du partenariat? On pourrait renvoyer aux nombreuses activités déjà existantes dans le cadre du NEPAD ou de l'UA. Pour cela, il existe les objectifs du Millénaire pour le développement, la Commission sur l'Afrique de Tony Blair, les organisations non gouvernementales et beaucoup d'autres enceintes. Toutefois, nous ne sommes qu'au début du traitement systématique des thèmes en rapport avec la jeunesse. Le document cadre du NEPAD de 2001 se borne à mentionner les problèmes rencontrés par la jeunesse. La Charte africaine de la jeunesse n'a été adoptée qu'en juillet 2006. La e-Africa Commission du NEPAD et des initiatives scolaires n'en sont toujours qu'à leurs premiers balbutiements. C'est étonnant. Nous vivons dans un seul et même monde où nous sommes de plus en plus proches les uns des autres. Les jeunes d'aujourd'hui connaîtront de moins en moins la notion de politique nationale et de plus en plus celle de "politique intérieure mondiale". Le Président Kufuor et moi-même avons donc décidé de rassembler sous le thème général du partenariat des jeunes venus d'Afrique et d'Allemagne et de les répartir en quatre groupes de travail. Le premier groupe de travail se penchera sur l'environnement et la conception du cadre de vie naturel, le deuxième sur les conflits armés et la violence au quotidien, le troisième sur les chances d'éducation et les possibilités d'emploi et le quatrième sur la participation démocratique, plus particulièrement la participation des jeunes adultes aux décisions politiques, et la relation qu'ont les jeunes avec la politique. J'ai rencontré ces jeunes à la fin du mois de novembre de l'année dernière à Wittenberg. Leur engagement et leur sérieux, leurs connaissances et leur curiosité m'ont fortement impressionné. Nous tous, ici présents, pouvons nous réjouir de participer à un débat vivant. Nous avons demandé aux jeunes participants d'articuler clairement leurs exigences et de nous présenter des propositions concrètement applicables sur la manière de concevoir des partenariats qui leur semble la plus appropriée. Je pense que les deux parties sont disposées à se pencher sur les questions pressantes dans un esprit de partenariat. Il y a suffisamment d'exemples qui parlent en ce sens. Dans le domaine de l'environnement, les ONG africaines fournissent à leurs partenaires européens des informations sur les dommages que les entreprises européennes causent à l'environnement, des partenaires qui sont alors en mesure d'influencer de manière adéquate les entreprises concernées. Dans le domaine de l'éducation, on constate heureusement que le nombre de partenariats entre les institutions d'enseignement supérieur et de recherche africaines et européennes ne cesse d'augmenter. Néanmoins, nous ne sommes qu'au début. À mon avis, le potentiel pour une action en partenariat est encore loin d'être épuisé. J'utilise consciemment les termes "en partenariat". Parce que les jeunes Allemands peuvent trouver dans les débats de nombreuses stimulations pour la conception de leur propre avenir et aussi parce qu'il y a trop d'experts européens qui se rendent en Afrique avec leurs concepts déjà achevés. Très souvent, ces idées ont été acceptées uniquement pour que les fonds affluent pour des projets. Il faut changer ces comportements, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain; un long processus d'apprentissage nous attend encore. Il sera pour les deux parties à la fois douloureux et enrichissant. Douloureux parce que nous devons répondre des erreurs que nous avons commises dans le passé. Enrichissant parce que les Allemands et les Européens peuvent apprendre beaucoup de la culture, de la volonté d'auto-affirmation, de l'optimisme et de la flexibilité des Africains. En même temps, les Africains peuvent bénéficier des valeurs acquises en Europe, à savoir les droits de l'homme, la sécurité juridique et la démocratie, et ce, surtout depuis la Renaissance, même si ce processus fastidieux a souvent été interrompu par des revers. Il s'agit de conditions essentielles cruciales pour mener dans la dignité une vie marquée par l'auto-détermination. Hier, j'ai parlé de Sankofa, l'oiseau des Akans, qui avance la tête tournée vers l'arrière. Permettez-moi donc de jeter un bref coup d'œil en arrière. L'Europe a parcouru un long chemin de la modernisation à la fois spirituellement, économiquement et techniquement, évolutions sans lesquelles le niveau de vie matériel actuel serait impensable. Les changements techniques ont entraîné des changements sociaux, parfois épouvantables. La modernisation a été l'objet de controverses et a profondément modifié notre société. En dépit de toutes les différences présentes également en Europe, il y a quelques conditions de base auxquelles une société moderne ne peut pas se soustraire. La division du travail nécessite de la discipline, les investissements, une stabilité à long terme, les inventions techniques de la créativité et une formation. Il en va de même pour la démocratie: des élections libres ne peuvent être porteuses que si les électeurs disposent d'un accès libre aux informations. La transparence force les hommes politiques à se justifier constamment, ce qui est salutaire, et est dès lors un instrument crucial dans le combat pour l'État de droit et l'honnêteté. L'Europe a eu le luxe d'imposer sa modernisation sans trop de concurrence de la part d'autres sociétés et sans devoir être en concurrence avec d'autres sociétés. Au contraire, alors que les Européens luttaient à l'époque des Lumières pour plus de participation politique et de justice, le continent exploitait sa supériorité technique pour faire valoir sa dominance en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Il n'est toujours pas logique aujourd'hui de revendiquer en Europe la justice et, au même moment, de fermer les yeux sur l'injustice en Afrique. Cela signifie par conséquent que nous, citoyens du Nord, devons changer notre comportement. Dans le domaine politique, nous ne pouvons pas tolérer les violations des droits de l'homme qui sont perpétrées sur notre continent voisin. Dans le domaine économique, nous ne pouvons pas fermer à l'Afrique les portes devant les chances d'exportation. Je pense concrètement par exemple à la politique de pêche de l'Union européenne qui a instauré des surcapacités et racheté aux pays africains ses droits de pêche. Je pense aussi aux exportations subventionnées des excédents alimentaires qui inondent les marchés africains et empêchent un développement indépendant d'un système alimentaire durable en Afrique. Il y a en Allemagne une volonté de travailler dans la transparence. Toutefois, elle n'en est aussi qu'à ses premiers balbutiements. Ce n'est qu'en 1999 qu'ont été créées des directives plus précises en faveur d'un "code de conduite éthique" destiné aux entreprises. Les dernières enquêtes de droit pénal menées en Allemagne contre une grande entreprise pour corruption et caisses noires montrent que nous sommes prêts à joindre l'acte à la parole. Cela doit également s'appliquer aux autres obligations des pays industrialisés. J'espère que l'Allemagne montrera en 2007 le bon exemple lors de ses présidentielles du G8 et de l'UE. L'avidité de justice est partout grande, surtout chez les jeunes. Si nous ne donnons aucun avenir à notre jeunesse, nous avons alors gâché notre présent. Le désespoir est le terreau idéal pour la violence. Il s'agit d'un cercle vicieux auquel nous pouvons mettre fin. Citons le Japon, la Chine et l'Inde comme exemples encourageants. Le Viet Nam et la Thaïlande montrent aussi que d'autres cultures sont parvenues à se moderniser avec succès. Je ne vois aucune raison pour laquelle l'Afrique ne trouverait pas sa voie vers la modernisation. Je vous remercie et me réjouis de nos débats.

Traitement du texte par le rédacteur en chef

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